文稿:
Li Juan « La route qui mène à la source du désert »
李娟《通往滴水泉的路》
(extraits)
Cette courte nouvelle est la sixième du recueil « Mon Altaï » (《我的阿勒泰》), publié en juillet 2010. C’est l’une des plus connues de Li Juan (李娟), l’une des plus représentatives, aussi, de son style. Elle y conte l’histoire d’une minuscule source dans le désert au nord du Xinjiang, une source qui s’écoule tout doucement, goutte à goutte [1], en formant autour d’elle une oasis fraîche et verdoyante, mais si petite, si difficile à trouver, qu’elle est restée longtemps inconnue, même des bergers qui en avaient fait une légende.
Li Juan mêle à son récit des bribes d’histoire, qui sont la toile de fond de la légende, mais l’histoire, finalement, dans ce bout de désert, n’est qu’un tissu d’autres légendes
Ces premières lignes annoncent le style du texte qui suit : un texte poétique, empreint du sentiment nostalgique du temps qui passe et du regret de voir le « progrès » effacer des modes de vie qui tenaient leur sens de leur proximité et de leur respect de la nature. En même temps, elle évoque, en termes tout aussi poétiques,et comme une autre légende, les efforts des premiers pionniers venus « de l’intérieur » pour mettre en valeur un bout de terre inhospitalière mais attachante, y rester vivre malgré tous les aléas, et finir par s’y sentir chez soi. C’est un peu son histoire, et c’est de là que le texte tire une bonne partie de sa force émotionnelle…
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最早的时候,通往滴水泉的路只有乌斯曼小道。乌斯曼是一百年前那个鼎鼎有名的阿勒泰土匪头子1,被称为“哈萨克王”。
1. 土匪 tǔfěi bandit, hors-la-loi.
Autrefois, le chemin d’Osman était la seule route menant à la source cachée qui coule, goutte à goutte, dans le désert. Il y a un siècle, cet Osman était un célèbre chef de bandits de l’Altaï*, un personnage important que l’on avait appelé « le roi des Kazakhs ».
而更早的一些时候,在这片茫茫大地上,所有的路都只沿着戈壁沙漠的边缘绕过。那些路断断续续地、虚弱地行进在群山褶皱之中1,遥遥连接着阿尔泰群山的绿洲2和南方的草原雪山。没有人能从这片荒原的腹心通过。没有水、没有草,马饥人渴,这是一块死亡之地。唯一知道水源的,只有那些奔跑在沙漠间的鹅喉羚3与野马,但它们不能开口说出一句话来。它们因为深藏着水的气息而生有晶莹、深邃的眼睛。
1. 褶皱 zhězhòu plissement de terrain (en géologie) 2. 绿洲lǜzhōu oasis
3. 鹅喉羚 é hóulíng gazelle du Xinjiang (gazelle à goitre ou gazelle de Perse)
Auparavant, dans l’immensité de ces terres désolées, toutes les routes sinuaient en bordure du désert de Gobi. Elles formaient, le long des montagnes, un ruban discontinu et fragile qui reliait les lointaines oasis des monts de l’Altaï aux pâturages et montagnes enneigées des régions plus au sud. Personne ne pouvait traverser l’espace désertique au milieu ; c’est une contrée implacable, sans ni eau ni végétation, où les chevaux seraient morts de faim et les hommes de soif. Seuls les chevaux sauvages et les gazelles du désert sont capables d’y trouver de l’eau, mais ils n’ont pas les paroles pour communiquer ce qu’ils savent. C’est le secret de l’eau, caché au plus profond d’eux-mêmes, qui donne à leur regard son éclat diaphane et pénétrant.
大约就在那个时候,便有了关于滴水泉的传说吧?那时,只是在牧民之间,寂静而神秘流传着一种说法——在戈壁滩最最干渴的腹心地带,在那里的某个角落,深深地掩藏着一眼奇迹般的泉水。水从石头缝里渗出,一滴一滴掉进地面上的水洼中,夜以继日,寒暑不息。那里有着一小片青翠静谧1的草地,有几丛茂盛的灌木2。水流在草丛间闪烁,沼泽边生满了苔藓4。那是一片狭小而坚定的沙漠绿洲——有人声称亲眼目睹过那幕情景。当时他身处迷途,几天几夜滴水未进,已是意识昏茫,濒临死亡。这时,他一脚踩入滴水泉四周潮湿的草丛中,顿时感激得痛哭起来。他在那里痛饮5清冽甘泉,泪流满面。
1. 青翠 qīngcuì frais et verdoyant 静谧 jìngmì calme, paisible
2. 灌木 guànmù buisson (灌 guàn irriguer) 3. 沼泽 zhǎozé marais
4. 苔藓 táixiǎn mousse 5. 痛饮 tòngyǐn boire tout son soûl
Est-ce alors qu’est née la légende de la source secrète? Ce n’était au début qu’une rumeur mystérieuse, circulant sans bruit parmi les bergers ---- murmurant qu’il y avait une source, cachée dans un endroit perdu au plus profond du désert du Gobi, et que c’était un vrai miracle. Goutte-à-goutte, jour et nuit, disait-on, l’eau coulait d’une fente dans une roche, formant au fil du temps et des saisons une dépression humide en contrebas. L’eau faisait de cet endroit calme une petite prairie fraîche et verdoyante où poussaient quelques buissons luxuriants. Le filet d’eau brillait en s’écoulant au milieu des bouquets d’herbe, et les bords de la zone humide étaient couverts de mousse. C’était une minuscule oasis, immuable dans le désert --- il y a quelqu’un qui a prétendu avoir vu ce spectacle de ses propres yeux. L’homme s’était perdu et n’avait plus une goutte d ‘eau depuis plusieurs jours ; il commençait à divaguer et n’était plus très loin de la mort quand ses pas l’ont conduit dans l’herbe humide autour de la source ; il en a instantanément ressenti une telle émotion qu’il a fondu en larmes, et c’est en larmes qu’il s’est désaltéré à l’eau fraîche et pure de la source.