MAIGRAT M &`&A PRÊTÉ 100 SOUS
Le jour commence à se lever. La Maheude sort de chez elle, en tenant par la main Léonore et Henri, ses deux jeunes enfants. Estelle, la dernière, âgée de quelques mois, est restée à la maison. Les cafés ont déjà ouvert leurs portes. La grande maison de M. Hennebeau dort encore.
La Maheude entre chez Maigrat, l&`&épicier. Une dernière fois, elle vient lui demander de l&`&aider. Un morceau de pain, rien qu&`&un morceau de pain... Maigrat refuse.
Elle repart. En route, elle rencontre le curé. Elle a un moment d&`&espoir, mais il passe, sans dire un mot. Elle avance péniblement sur la longue route qui mène chez les Grégoire. A côté d&`&elle, les
enfants s&`& amusent à marcher dans la boue épaisse et noire.
Dans leur grande maison, à deux kilomètres de Montsou, M. et Mme Grégoire vivent heureux. Ils ne travaillent pas. Ils possèdent des actions de la mine. Ils sont riches et mènent une vie de petits-bourgeois, avec leur fille unique, Cécile.
Cécile n&`&est pas très jolie, mais à dix-huit ans, elle respire la santé, avec sa peau fraîche d&`&enfant bien nourrie. Elle porte de belles robes achetées à Paris. Des professeurs viennent lui donner
des cours à la maison. Elle est heureuse.
Très tôt, M. Deneulin, un cousin des Grégoire, est venu leur rendre visite. Il est propriétaire d&`&une rnine voisine. Il explique à son cousin qu&`& il a des difficultés d&`&argent et lui demande del&`& aider. M. Grégoire refuse.
- Vous feriez mieux, dit-il, de vendre votre mine à la Compagnie de Montsou.
- Jamais ! s’écrie Deneulin, jamais !...
Cécile sort, puis revient quelques instants plus tard.
- Maman, dit-elle, il y a une femrne de mineur qui attend à la porte avec ses deux enfants. Est-ce qu&`&elle peut entrer ?
Les Grégoire hésitent et, finalemcnt, la font entrer. C&`&est la Maheude.
Cécile est émue en voyant les enfants si pâles, si sales et si mal habillés. Elle demande à la domestique d&`&aller chercher des vête- ments chauds. La Maheude a les larmes aux yeux. Voilà des gens qui vont sûrement lui donner de l&`&argent. Elle fait comprendre aux Grégoire qu&`&elle est dans la misère.
Mais les Grégoire ne donnent jamais d&`&argent. C&`&est un principe. Ils donnent plutôt des leçons de morale. M.Grégoire explique à la Maheude que les ouvriers doivent être plus raison- nables, aller moins souvent au café, avoir moins d&`&enfants et faire des économies ...
Alors la Maheude s’en va, désespérée. Elle retourne chez Maigrat, l’épicier. Finalement, il accepte de lui faire crédit, mais il lui dit :
- La frochaine fois, envoyez donc Catherine faire les courses ...
La Maheude est rentrée chez elle pour s&`&occuper des enfants et préparer le repas des mineurs. Ensuite, elle va chez la Pierronne, une voisine.
La Pierronne n&`&a pas d&`&enfants. Elle est plus riche que les autres femmes du coron, plus soignée aussi, et sa maison est mieux tenue. Des bruits courent sur elle ...
La Maheude et la Pierronne regardent par la fenêtre.
- As-tu vu les rideaux des Levaque, dit la Pierronne, c&`&est dégoûtant !
- Comment peut-on vivre comme ça, dans la saleté ? dit la Maheude.
Après avoir parlé un moment avec la Pierronne, de tout et de rien, la Maheude rentre chez elle. Sur son chemin, elle rencontre la Levaque qui l &`&Invite à prendre un café. La Levaque estime grosse femme laide et sa maison est noire de saleté.
- Je voulais te dire, dit la Levaque... Hier soir, j&`&ai vu la Pierronnc avec un homme !
Toutà coup, elles aperçoivent Mme Hennebeau qui fait visiter le coron à un couple de bourgeois venus de Paris. Mme Hennebeau a commencé la visite par la maison de la Pierronne. Ensuite, ils vont chez la Maheude. Celle-ci se précipite chez elle pour les accueillir.
Mme Hennebeau est en train d&`&expliquer à ses visiteurs les avantages qui sont accordés aux mineurs par la Compagnie : chaque maison leur est louée six francs par mois ; il y a une grande salle au rez-de-chaussée, deux chambres en haut, une cave et un jardin.
- Et un jardin ! s&`&étonne la clame, émerveillée, ce coron est absolument charmant ...
Pendant ce temps, dans la rue, la Pierronne a retrouvé la Levaque.
- Mais, qu&`&est-ce que la Maheude leur raconte ? dit la Pierronne. Je suis sûre qu&`&elle demande de l&`&argent ... Elle n&`&a jamais un sou !
- Tu sais qu&`&elle est allée chez les Grégoire, ce matin!
- Elle m&`&a dit que Maigrat lui avait fait crédit ...
- Bien sûr ! Maigrat, c&`&est Catherine qu&`&il veut !
Les bourgeois de Paris sont partis. Chez les Maheu, le père et les enfants, qui sont rentrés de la mine, prennent leur repas, puis ils se lavent, les uns après les autres. La Maheude savonne son mari et lui raconte sa visite chez les Grégoire et chez Maigrat.
- Nous aurons du pain jusqu&`&à samedi, et le plus beau, c&`&est que Maigrat m&`&a prêté cent sous. Je crois que je n&`&ai pas perdu ma matinée, hein ?
Maheu raconte à sa femme l&`&histoire du boisage, les menaces de l&`&ingénieur Négrel, la colère des mineurs.
- Sois prudent, dit la Maheude. Ça ne sert à rien de se battre contre la Compagnie. Elle sera toujours plus forte que nous.
L&`&après-midi est calme. Le temps est doux et humide. Catherine met sa « robe des dimanches » pour aller en ville. Maheu travaille dans son jardin. Des mineurs fument tranquillement la pipe devant leur maison et regardent les enfants qui sortent de l&`&école en criant.
À sept heures, les Maheu se mettent à table, sans Catherine qui n&`&est pas encore rentrée. La nuit va tomber. Le ciel est gris. Par la fenêtre de sa petite chambre, Étienne regarde les nuages cbargés de pluie. Il se sent fatigué et rempli de tristesse. Il décide d&`&aller faire un tour avant de diner.
Sur la route, il surprend des couples cachés qui s&`&embrassent ou se disputent. Le jeune homme pense aux enfants qui naîtront et qui vivront dans la même misère que leurs parents. Tout cela lui paraît désespérant. Il s&`&assied, seul dans le noir. La pluie commence à tomber.
Soudain, un couple passe devant lui. Sans savoir pourquoi, Étienne se met à les suivre. L&`&homme tient la jeune fille par Le bras et lui parle à l&`&oreille.
- Non, laisse-moi ! dit-elle. Je ne veux pas... Je suis bien trop jeune pour toi... Laisse-moi !
Mais l&`&homme réussit à emmener la jeune fille. Ils disparaissent dans la nuit. Quelque temps après, Étienne Ies voit revenir, serrés l&`&un contre l&`&autre. Ils passent devant lui, sans le voir. Alors, Étienne reconnaît Catherine et ... Chaval !
Étienne serre les poings. Une grande colère monte en lui : contre la jeune fille, contre Chaval, contre lui-même aussi... Pourquoi n&`&a-t-il pas osé, ce matin, dans la mine ? Maintenant, il est trop tard. Elle appartient à un autre ...